J’avais entendu parler de ce roman lors de sa nomination au Goncourt des Lycéens et j’avais très envie de le découvrir, mais comme souvent lorsqu’un livre a beaucoup de succès, j’attends un peu que l’effet de mode passe.
Et bien pour une fois, je regrette d’avoir autant attendu parce que j’ai eu un formidable coup de coeur!
Editions Livre de poche – 142 pages – Août 2022
Quatrième de couverture:
C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres.
C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.
Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.
La naissance d’un enfant handicapé racontée par sa fratrie
« S’ils se taisent, les pierres crieront. »
Evangile selon Luc, 19 :40, nous dit l’exergue.
Et les pierres ont leur importance ici, puisque ce sont elles qui nous racontent l’histoire de cette famille. Les pierres posées devant la maison voient tout : les arrivées, les départs, les enfants qui jouent, courent, pleurent, les silences aussi…
« Nous, les pierres rousses de la cour, qui faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants. C’est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies. Depuis des millénaires, nous sommes les témoins. Les enfants sont toujours les oubliés d’une histoire. »
Elle nous invite à découvrir une fratrie, touchée par le handicap.
« Un jour dans une famille, est né un enfant inadapté. »
Le roman est divisé en trois : l’Ainé, la cadette et le petit dernier. Chaque partie nous expliquera comment il a vécu l’arrivée de ce petit frère, « inadapté ».
Ce petit frère a d’abord émerveillé tout le monde : les yeux noirs comme les enfants de leurs montagnes, des joues rondes et dodues, il venait combler un peu plus cette jolie famille, très soudée.
Un jour, la mère de famille passe devant les yeux de son bébé une orange, qu’elle déplace encore et encore. Elle se rend à l’évidence : il ne réagit pas. Son fils est aveugle. Et puis sa nuque ne se raidit pas au fil des mois. Quand elle le porte, il n’est pas tonique. Après différents examens, le verdict tombe : l’enfant est handicapé et a une durée de vie de 3 ans. Sous le choc, il faut l’annoncer aux enfants.
L’Ainé posera une main protectrice sur l’épaule de sa soeur. Sa vie va changer, lui qui était si énergique, créatif, meneur, vadrouilleur, deviendra quelqu’un d’autre. A Noël, son frère dans le transat, tout le monde est à la fête. Lui, il s’inquiète que son frère ait bien chaud et soit proche de la cheminée, remet un coussin sous sa tête, lui caresse la joue, frotte le papier cadeau près de ses oreilles et lui raconte ce qu’il voit, entend, sent.
« Il (l’aîné) serait ses yeux. Il lui raconterait le lit et la fenêtre, l’écume blanche du torrent, la montagne par-delà la cour, son sol d’ardoises bleu nuit, la porte en bois, le rempart du vieux mur, nous, les pierres et nos reflets cuivrés, les fleurs jaillissant des pots ventrus, avec deux petites anses comme des oreilles. Auprès de l’enfant, il se découvrait patient. »
Cette relation d’Amour pur et profond est notre chapitre 1 et ce frère m’a profondément touché par son abnégation, sa dévotion, sa tendresse incommensurable. J’ai été très émue à de nombreuses reprises, touchée par les mots de Clara Dupont-Monod qui nous raconte tout ça avec délicatesse et poésie.
« Il aimait par-dessus tout l’impassible bonté, la primaire candeur de l’enfant. Le pardon était dans sa nature puisqu’il n’émettait aucun jugement. »
La deuxième partie, consacrée à la cadette, prend une autre teinte. Rudesse, rébellion, silence…chacun réagit différemment à une telle situation et cette petite fille qui admirait tant ce grand frère, se sentira perdue. Sa colère m’a chamboulée mais encore une fois, elle est abordée par l’auteure avec beaucoup de justesse et de vérité.
« Son cœur se couvrit d’une pellicule de gel. Cette intransigeance lui vint d’instinct. La cadette devint bloc de pierre. Son cœur avait été arraché, elle n’en avait plus, pour elle c’était clos. «
« En revanche, nous reconnûmes cette vieille logique absurde, propre aux humains et aux animaux, à laquelle heureusement nous échappons : la fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l’est pas assez. »
Et puis vient le dernier chapitre, le petit dernier, que je ne vais pas vous raconter car il dévoile à mes yeux, beaucoup d’éléments. Il est inattendu, bouleversant aussi.
Je me rends compte que cette chronique est très longue, que je l’ai bourré de citations. J’ai tellement aimé ce livre, je voudrais que tout le monde le lise. Pour l’auteure d’abord qui a écrit un livre formidable. Pour que les gens ouvrent ENFIN les yeux sur le handicap. Pour que notre Pays fasse le nécessaire pour accueillir et faciliter leur quotidien.
Lisez-le.

J’ai également beaucoup aimé cette lecture ! Très joli retour.
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Merci Julie! Je vais rechercher ses autres romans maintenant. Tu en as lu d’autres d’elle?
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Non pas du tout, j’ai découvert sa plume il y a quelques mois.
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J’ai moi même une petite sœur avec une maladie rare et je m’identifierait à l’aînée dans le comportement et l’action. Ce livre a l’air de t’avoir touché en plein cœur. C’est sur que notre société est encore loin de l’acceptation du handicap et du vivre avec. Ton retour fait clairement envie même si ça reste pour moi un sujet à fleur de peau et douloureux.
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Je comprends parfaitement. J’ai encore parlé de ce livre avec une copine ce week-end, porteuse de handicap et c’est un livre qui l’a profondément touchée.
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Franchement il fait partie de ma wish list.
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N’hésites pas, il est resté quelques semaines dans la mienne et j’ai trop regretté car c’était le coup de coeur que j’attendais depuis le début de l’année !
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